Publié le
26/5/2025

Le Value-Based HealthCare

Le Value-Based HealthCare (VBHC) promet de révolutionner la manière dont les soins de santé sont évalués et financés. C'est une inversion de paradigme fondamentale pour les systèmes de santé en déplaçant le focus des processus et des coûts bruts vers les résultats qui comptent réellement pour les patients.

Le Value-Based HealthCare : une révolution pour le système de santé et son application en France

Le paysage de la santé est en pleine mutation. Face aux pressions croissantes liées à l'optimisation des ressources limitées, aux coûts associés aux avancées technologiques, à l'augmentation des patients souffrant de maladies chroniques multiples et à l'évolution des pratiques cliniques, une nouvelle approche gagne du terrain : le Value-Based HealthCare (VBHC). Bien que son nom anglais soit encore relativement peu connu, voire abstrait, ce concept promet de révolutionner la manière dont les soins de santé sont évalués et financés. L'objectif est de passer d'une vision du système de soins comme une contrainte de dépenses à court terme à celle d'un investissement sur le long terme, axé sur la création de valeur.

Qu'est-ce que le Value-Based HealthCare ?

Développé par l'économiste Michael Porter et la médecin chercheuse Elizabeth Teisberg, le VBHC, ou "soins de santé axés sur la valeur" en traduction la plus proche, est un cadre visant à restructurer les systèmes de santé avec l'objectif primordial de créer de la valeur pour les patients. La valeur, dans ce contexte, est définie comme les résultats en matière de santé divisés par les coûts nécessaires pour atteindre ces résultats. Cette définition fondamentale, introduite par Porter et Teisberg dans leur ouvrage "Redefining Health Care", caractérise les soins de santé fondés sur la valeur.

Il est important de différencier cette notion de "valeur" de la simple valeur économique ou des valeurs éthiques et morales ; le VBHC parle spécifiquement de la création de valeur. Il s'agit de mesurer des résultats, et non pas uniquement des dépenses ou des processus. L'amélioration des résultats de santé est essentielle à la création de valeur dans une approche globale et systémique. Une simple réduction des coûts n'est pas considérée comme une stratégie appropriée si elle ne s'accompagne pas d'une amélioration des résultats pour le patient.

Cependant, la définition de la valeur n'est pas monolithique et peut être subjective, variant entre les patients, les cliniciens, les prestataires de soins, les décideurs politiques ou les acteurs de l'industrie. Alors que certains utilisent le terme pour ses principes humanistes, d'autres l'associent à la réduction des coûts et à l'efficacité des processus. Pour répondre à ce défi, une perspective plus large, notamment proposée au niveau européen, enrichit le concept avec quatre piliers de valeur :

  1. Valeur Allocative : Distribution équitable des ressources entre tous les groupes de patients.
  2. Valeur Technique : Obtention des meilleurs résultats possibles avec les ressources disponibles.
  3. Valeur Personnelle : Soins appropriés pour atteindre les objectifs personnels des patients.
  4. Valeur Sociétale : Contribution des soins de santé à la participation et à la connexion sociale.

Cette vision comprehensive va au-delà d'une interprétation purement monétaire de la valeur, intégrant les dimensions fondamentales des systèmes de santé basés sur la solidarité, tels que les systèmes européens.

Pourquoi le VBHC est-il nécessaire ?

Les systèmes de santé actuels, en Europe notamment, sont fortement axés sur les mesures de processus. Malgré les efforts pour standardiser les directives, listes de contrôle et mesures de qualité, de larges variations subsistent dans les processus et les résultats. Des exemples frappants incluent les disparités dans les taux de révision chirurgicale après une prothèse de hanche en Suède ou les variations dans les taux d'incontinence après une chirurgie de la prostate en Allemagne, alors même que les taux de survie peuvent être similaires. Ces variations ont un impact considérable non seulement sur la qualité de vie des patients, mais aussi sur les coûts associés pour le système de santé et la société.

Actuellement, peu de systèmes de santé évaluent l'impact sur la qualité de vie du point de vue des patients. Les mesures de performance tendent à se concentrer sur les intrants et les extrants. Bien que l'espérance de vie soit importante, il manque souvent des mesures sur les résultats qui comptent vraiment pour les patients, tels que la douleur, la fonctionnalité et la qualité de vie. Le VBHC vise à combler cette lacune en se concentrant sur les résultats spécifiques qui comptent le plus pour les patients, comme la récupération fonctionnelle et la qualité de vie, sur l'ensemble du parcours de soins.

De plus, le mode de financement actuel, souvent basé sur le paiement à l'acte, rémunère les professionnels de santé pour ce qu'ils font, pas pour ce qu'ils atteignent. Le VBHC propose une inversion de cette logique, en conditionnant le financement à l'impact réel des soins sur l'état de santé du patient. L'objectif est d'assurer la soutenabilité économique et financière des systèmes de santé face à l'augmentation des dépenses due au vieillissement de la population et à la chronicisation des maladies.

Les principes fondamentaux de l'évaluation basée sur la valeur

La mise en œuvre du VBHC repose sur plusieurs principes clés :

  1. Le Patient au Centre de l'Évaluation : L'approche VBHC place le patient comme partie prenante du système, et non plus seulement passif. L'idée est de l'inclure au centre et d'évaluer les bénéfices qu'il tire de son parcours de soin. Cela implique de s'intéresser à la qualité de sa prise en charge, à comment il la vit sur le long terme, et d'introduire la notion de "patient partenaire". Les objectifs de la prise en charge doivent être définis en accord avec le patient, car l'attente et la notion de succès peuvent différer considérablement d'une personne à l'autre. Cette démarche renforce le dialogue entre soignant et patient et l'engagement du patient dans la décision partagée. L'expérience patient est reconnue comme une composante intégrale de la qualité des soins, liée notamment à l'adhérence au traitement.
  2. Mesurer les Résultats qui Comptent : C'est un principe fondamental du VBHC. L'évaluation se base sur des indicateurs qui capturent l'amélioration de l'état de santé et la qualité de vie. Deux types d'indicateurs sont essentiels :
    • PROMs (Patient Reported Outcome Measures) : Mesures des effets produits pour la santé du patient tels que rapportés par le patient lui-même. Il s'agit de questionnaires sur la qualité de vie, mesurant par exemple combien de temps le patient a passé à l'hôpital, quand il a pu reprendre une activité physique, la douleur, la fonctionnalité. Ces données reflètent ce qui compte vraiment pour les patients.
    • CROMs (Clinical Reported Outcome Measures) : Éléments cliniques mesurés par les équipes de professionnels de santé. Ce sont des données objectives sur les patients, avec un aspect clinique, comme les scores chirurgicaux ou l'imagerie.
    • (À noter, certaines sources mentionnent également les PREMs - Patient Reported Experience Measures - qui sont basés sur l'expérience du patient : comment a-t-il vécu les délais, l'annonce du diagnostic, l'accompagnement, la douleur, etc..)
  3. Mesurer les Coûts sur l'Ensemble du Parcours : La valeur est calculée en rapportant les résultats bénéfiques aux coûts par patient. Le dénominateur s'applique à la dépense totale pour le cycle complet des soins se rapportant à une condition, y compris les soins post-hospitaliers.
  4. Réorganisation des Soins : L'efficacité du VBHC s'accroit en réorganisant les soins, par exemple en Unités de Pratique Intégrée (Integrated Practice Units - IPU). L'idée est de prévoir et de coordonner l'ensemble du parcours de soins dès le départ, notamment pour les maladies chroniques qui s'étendent sur de longues périodes.
  5. Utilisation des Données et Digitalisation : La collecte, la structuration, l'analyse et la comparaison des données (PROMs, PREMs, CROMs, observance, complications, etc.) sont la base d'un système vertueux. La digitalisation est un chantier majeur pour mettre en place une stratégie forte de data-management. Les solutions numériques permettent notamment la mesure et la comparaison des données. Les questionnaires de qualité de vie (PROMs) peuvent être en ligne et remplis à distance, facilitant la collecte d'informations longitudinales. Le développement de l'IA et l'utilisation de données du monde réel (Real World Evidence) sont également mentionnés.
  6. Collaboration et Apprentissage : La mise en place du VBHC nécessite une approche collaborative impliquant toutes les parties prenantes : établissements, professionnels de santé, patients, payeurs, industrie. Les communautés d'apprentissage sont encouragées pour partager les meilleures pratiques et apprendre collectivement.
  7. Changement Culturel et Gouvernance : Le VBHC représente un changement de culture profond. Il demande aux professionnels de santé de questionner le sens de leur travail et de repenser leur façon de travailler. Une stratégie à long terme avec une forte gouvernance est recommandée pour ce changement progressif.

L'application du VBHC en France : l'exemple de l'AP-HP

L'AP-HP (Assistance Publique – Hôpitaux de Paris) s'inscrit dans cette démarche en adoptant le Value Based HealthCare comme un concept novateur pour l'évaluation de la qualité des soins. Son objectif principal, en ligne avec la définition du VBHC, est de mesurer l'amélioration de l'état de santé des patients après leur prise en charge à l'hôpital.

À l'AP-HP, cette évaluation s'appuie concrètement sur la collecte de deux types d'indicateurs :

  • Les CROMs (Clinical Reported Outcome Measures) : données cliniques mesurées par les équipes médicales et soignantes.
  • Les PROMs (Patient Reported Outcome Measures) : questionnaires sur la qualité de vie renseignés par les patients eux-mêmes.

Les évaluations sont effectuées à différents moments clés du parcours patient : avant la prise en charge, peu de temps après, et parfois se prolongent jusqu'à dix ans, généralement à raison d'une fois par an. Un point important de la mise en œuvre à l'AP-HP est la digitalisation de la collecte des PROMs : les questionnaires de qualité de vie sont en ligne et peuvent être remplis par le patient à domicile après réception d'une notification par email ou SMS contenant un lien d'accès.

Les informations ainsi recueillies ont un double usage à l'AP-HP :

  1. Elles permettent aux équipes de professionnels de santé de mieux prendre en charge chaque patient individuellement.
  2. En combinant les données de nombreux patients, elles contribuent à améliorer la prise en charge pour l'ensemble des patients.

Cette initiative de l'AP-HP témoigne de l'adoption progressive du VBHC en France, s'alignant sur les démarches déjà bien avancées chez d'autres voisins européens. Le Plan national santé semble d'ailleurs reprendre cette terminologie, indiquant une reconnaissance politique du concept.

La France dispose de plusieurs atouts stratégiques pour le déploiement du VBHC :

  • Une excellence médicale, malgré les défis structurels.
  • Une avance dans la santé numérique des établissements par rapport à la plupart des pays européens (hors pays nordiques), estimée à 2 à 4 ans. La capacité à collecter, structurer, analyser et comparer les bonnes données (PROMs/PREMs, etc.) est la base d'un système vertueux favorisé par le VBHC.
  • Un élan (momentum) pour faire évoluer le système, engendré notamment par les crises récentes.
  • Un système de santé avec un payeur moins nombreux qu'ailleurs (la CPAM), ce qui pourrait théoriquement faciliter la validation de catégories de patients/pathologies éligibles et passer d'une focalisation sur les coûts à une approche basée sur les résultats.

Cependant, le passage à un financement basé sur la valeur, en opposition au paiement à l'acte actuel, est complexe et ne pourra pas se faire du jour au lendemain. Le VBHC est davantage une approche qui vient "sur le gâteau" d'un système, plutôt qu'un modèle qui remplace tout. Des chantiers majeurs, comme la mise en place d'une stratégie robuste de data-management, sont nécessaires.

Bénéfices et perspectives

L'adoption du VBHC promet de nombreux bénéfices :

  • Amélioration des Résultats Patients : En se concentrant sur ce qui compte le plus pour les patients (récupération fonctionnelle, qualité de vie, réduction de la douleur), le système peut viser des améliorations tangibles dans la vie quotidienne des individus.
  • Efficience Accrue : En mesurant les résultats par rapport aux coûts, le VBHC permet d'identifier les pratiques de "faible valeur" (low-value care) et de réallouer les ressources vers les soins de "haute valeur" (high-value care). Cela peut contribuer à lutter contre le gaspillage, la fraude et les variations injustifiées.
  • Soutenabilité du Système : En conditionnant le financement aux résultats réels, le VBHC offre une voie pour assurer la viabilité économique des systèmes de santé à long terme.
  • Stimulation de l'Innovation et de la Recherche : En mesurant les effets à long terme des traitements et des parcours de soins, le VBHC fournit des données précieuses pour la recherche, le développement de nouveaux traitements et la médecine personnalisée.
  • Amélioration de la Qualité de Vie au Travail des Soignants : En donnant du sens au travail et en permettant de mesurer l'impact réel des soins, le VBHC peut contribuer à contrecarrer le mal-être de certaines professions de santé.
  • Renforcement du Dialogue Soignant-Patient : L'implication du patient dans la définition des objectifs et l'évaluation des résultats favorise une meilleure communication et une relation de confiance.

La mise en œuvre complète du VBHC est un processus progressif qui nécessite une transformation culturelle et systémique. Elle passe par la formation de "change agents" (leaders) et le développement de communautés d'apprentissage. C'est un enjeu de "démocratie sanitaire" et une opportunité pour la France et l'Europe d'exercer une influence positive à l'échelle mondiale. Réussir des projets pilotes emblématiques est une étape clé pour démontrer le potentiel de cette approche.

Conclusion

Le Value-Based HealthCare est bien plus qu'un simple concept managérial ; c'est une inversion de paradigme fondamentale pour les systèmes de santé. En déplaçant le focus des processus et des coûts bruts vers les résultats qui comptent réellement pour les patients et en mesurant ces résultats par rapport aux coûts sur l'ensemble du parcours de soins, le VBHC offre une voie prometteuse pour améliorer la qualité, l'efficience et la soutenabilité des soins. L'AP-HP, à travers sa démarche de collecte de PROMs et CROMs, illustre concrètement cette application en France. Bien que la transition soit complexe et nécessite une collaboration de tous les acteurs et une forte stratégie de gestion des données, le VBHC s'impose comme une direction essentielle pour construire les systèmes de santé de demain, plus centrés sur le patient et axés sur la création de valeur durable pour l'individu et la société.

photo de l'auteur de l'article du blog de la safeteam academy
Frédéric MARTIN
Fondateur de la SafeTeam Academy
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