Publié le
22/4/2025

Maîtrise des dépenses de santé en France

La pérennité du système de santé français, avec ses principes de solidarité et d'accès aux soins pour tous, passe inévitablement par une maîtrise rigoureuse de ses dépenses.

Maîtrise des dépenses de santé en France : Enjeux, défis et stratégies pour un système pérenne

La maîtrise des dépenses de santé en France est devenue une préoccupation centrale des pouvoirs publics et des acteurs du système de santé. Face à une progression constante des coûts, il est impératif d'identifier les leviers d'action pour garantir la pérennité d'un système de soins de haute qualité et accessible à tous. Cet article explore les enjeux, les défis et les stratégies envisagées pour maîtriser les dépenses de santé en France, en s'appuyant principalement sur l'analyse de l'OCDE et en la complétant avec les perspectives de la Cour des Comptes et d'un rapport parlementaire sur la pertinence des soins.

L'état actuel des dépenses de santé en France : un panorama

La France consacre une part importante de son produit intérieur brut (PIB) aux dépenses de santé. En 2015, ces dépenses s'élevaient à 11 % du PIB, un niveau relativement élevé comparé aux autres pays européens. Parmi les pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la France figure parmi ceux qui consacrent le plus de ressources aux dépenses de santé, tous financeurs confondus (État, assurance maladie obligatoire, organismes complémentaires de santé, ménages), atteignant 11,8 % du PIB en 2023, contre une moyenne de 10,4 % pour les pays de l'Union européenne. Seule l'Allemagne (12,6 % en 2023), dont la population est plus âgée, affichait un niveau supérieur.

En termes de financement, le système de santé français repose largement sur l'assurance maladie obligatoire, qui prend en charge la majeure partie de la dépense courante de santé au sens international (DCSi). Le reste à charge pour les patients est ainsi relativement faible en France, se situant à 426 € par habitant en 2022, contre 516 € en moyenne dans l'Union européenne, après correction des écarts de prix.

Toutefois, cette générosité du système s'accompagne d'une progression constante des dépenses. Au cours des vingt dernières années précédant 2018, les dépenses de santé ont augmenté régulièrement par rapport au PIB. Après la crise sanitaire, la forte progression de l'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), hors dépenses liées au covid, appelle une maîtrise plus exigeante du rythme des dépenses. L'Ondam - hors dépenses covid - est fixé à 265,4 Md€ pour 2025, soit une progression de 4,8 % par an depuis 2019. Cette augmentation a entraîné un accroissement de la part de l'Ondam dans le PIB, atteignant 8,9 % en 2025, contre 8,3 % en 2019.

Les facteurs de la progression des dépenses de santé : défis et enjeux

Plusieurs facteurs contribuent à la progression des dépenses de santé en France. Parmi ceux-ci, l'évolution démographique, avec le vieillissement de la population et l'augmentation de l'espérance de vie, engendre une demande croissante de soins et de services de longue durée. Le progrès technologique et l'innovation médicale, bien qu'améliorant la qualité et l'espérance de vie, peuvent également entraîner une hausse des coûts, notamment en raison du prix des médicaments innovants. Par exemple, les dépenses nettes de médicaments anti-cancéreux devraient passer de 2,4 Md€ en 2022 à 7 Md€ en 2028, soit une augmentation de 20 % par an.

D'autres facteurs liés à l'organisation et au fonctionnement du système de santé jouent également un rôle. L'OCDE souligne notamment le risque de demande induite par l'offre et les disparités sociales en termes d'accès aux soins. La Cour des Comptes met en avant des pratiques médicales et des dépenses qui s'y attachent parfois peu pertinentes. Des exemples de prescriptions ou de remboursements non pertinents ont été identifiés, comme le surdosage de vitamine D ou la prescription excessive d'inhibiteurs de la pompe à protons (IPP).

Le gaspillage au sein du système de santé constitue également un enjeu majeur. L'OCDE estimait en 2017 que près d'un cinquième des dépenses de santé apportait une contribution nulle ou très limitée à l'amélioration de l'état de santé de la population. La Cour des Comptes a également pointé du doigt des recours jugés excessifs à certains actes, comme dans le domaine de l'imagerie médicale.

Enfin, la complexité du système de financement et les modes de rémunération des professionnels de santé peuvent influencer les dépenses. La tarification à l'acte, par exemple, peut potentiellement encourager la multiplication des actes, qu'ils soient toujours pertinents ou non.

L'Objectif National de Dépenses d'Assurance Maladie (ONDAM) : un outil de maîtrise ?

L'Objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam) est voté chaque année par le Parlement dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale. Il constitue un outil de pilotage des dépenses de santé. L'Ondam porte sur les dépenses du système d'assurance maladie obligatoire et de l'État, représentant environ 78 % du total des dépenses de santé. Il est divisé en plusieurs sous-objectifs correspondant aux secteurs de l'offre de soins, tels que les soins de ville, les dépenses relatives aux établissements de santé, aux établissements et services pour personnes âgées ou en situation de handicap.

Le gouvernement espère maintenir le taux de croissance de l'ONDAM à un niveau historiquement bas. Toutefois, la Cour des Comptes souligne que les mesures d'économies nécessaires au respect de la trajectoire de l'Ondam ne sont pas toujours précisément documentées. De plus, l'ONDAM n'intègre pas certaines dépenses importantes, comme les indemnités journalières de maternité et de paternité.

Malgré son rôle de cadrage budgétaire, l'efficacité de l'ONDAM en tant qu'outil de maîtrise des dépenses est sujette à débat. Les objectifs définis restent indicatifs pour de nombreux acteurs, qui prennent des décisions décentralisées en matière de dépenses. La Cour des Comptes a ainsi relevé des dépassements de l'ONDAM.

Stratégies de maîtrise des dépenses : l'approche de l'OCDE

L'OCDE propose plusieurs pistes pour améliorer l'efficience du système de santé français et maîtriser ses dépenses. L'organisation met en avant la nécessité de compléter le contrôle budgétaire global par des incitations à rendre l'offre de soins de santé plus efficace.

Parmi les recommandations de l'OCDE figurent :

  • Le renforcement des efforts pour abaisser le coût des médicaments et promouvoir les médicaments génériques. Malgré des initiatives, la part des médicaments génériques dans le marché pharmaceutique français reste inférieure à la moyenne des pays de l'OCDE. Amplifier le recours aux médicaments génériques et aux biosimilaires permettrait de réaliser des économies significatives.
  • Le développement des paiements fondés sur des incitations. L'OCDE encourage l'évolution vers des modes de rémunération des professionnels de santé qui valorisent la qualité et l'efficience des soins plutôt que le volume d'actes. La rémunération à l'épisode de soins ou les forfaits pourraient favoriser la coordination des acteurs et une prise en charge plus globale des patients.
  • Le renforcement de l'usage efficace et approprié des soins primaires et de l'hospitalisation. Cela passe par une meilleure coordination entre la médecine de ville et l'hôpital, la prévention des hospitalisations évitables et le développement de la chirurgie ambulatoire.
  • L'accentuation des actions en faveur du bon usage des soins et de la pertinence des actes. L'OCDE souligne l'importance de lutter contre le gaspillage et les interventions sans valeur ajoutée pour la santé.

L'OCDE met également en avant le rôle crucial de la prévention pour limiter le recours aux soins curatifs à long terme. Des actions ciblées et coordonnées entre les différents acteurs sont nécessaires pour améliorer l'efficacité de la prévention en santé.

Les propositions de la Cour des Comptes pour une meilleure efficience

La Cour des Comptes formule un certain nombre de propositions concrètes pour améliorer l'efficience des dépenses de l'Ondam. Ces propositions s'articulent autour de plusieurs axes :

  • La lutte contre les fraudes : La Cour préconise d'amplifier les efforts en matière de lutte contre les fraudes à l'assurance maladie, en se fixant des objectifs ambitieux et en renforçant les contrôles.
  • L'amélioration de la pertinence et de la qualité des soins (maîtrise médicalisée) : La Cour insiste sur la nécessité de mieux cibler les actions de maîtrise médicalisée, notamment sur les dépenses en plus forte progression comme celles liées aux affections de longue durée (ALD). Elle recommande également d'amplifier la maîtrise médicalisée des dépenses en s'appuyant sur les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) et en justifiant les économies attendues.
  • L'optimisation de la gestion : La Cour propose d'amplifier les efforts d'optimisation de la gestion de l'assurance maladie, notamment en matière de gestion des produits de santé, des dépenses de transport sanitaire et de l'encours de dette des établissements de santé. Elle souligne la nécessité de renforcer l'action du Comité économique des produits de santé (CEPS) et de favoriser le recours aux médicaments génériques et biosimilaires.
  • Le renforcement et la structuration de la prévention en santé : La Cour met en avant la nécessité de mobiliser les professionnels de santé et les assurés autour d'approches ciblées de prévention et de coordonner les actions des nombreux acteurs institutionnels.
  • La recherche d'un meilleur partage des efforts entre les acteurs du système de santé : Face à l'ampleur des efforts financiers à produire pour revenir à l'équilibre financier des branches de la sécurité sociale, la Cour appelle à un partage des efforts entre tous les acteurs, y compris les organismes complémentaires de santé et les assurés. Elle suggère notamment de repenser le champ du remboursement par l'assurance maladie et de réduire les montants alloués aux mesures nouvelles en projet de loi de financement de la sécurité sociale.

La pertinence des soins : un levier essentiel pour la maîtrise

La pertinence des soins, définie comme le fait de prodiguer le juste soin, approprié, strictement nécessaire, adapté aux besoins des patients et conforme aux meilleurs standards cliniques, est reconnue comme un levier essentiel pour la maîtrise des dépenses de santé. De nombreuses études ont mis en évidence une part de gaspillage au sein des systèmes de santé, y compris en France, liée à des interventions sans valeur ajoutée pour la santé. L'OCDE estime que cela pourrait représenter près d'un cinquième de la dépense de santé.

Améliorer la pertinence des soins implique d'agir sur plusieurs aspects :

  • La pertinence des prescriptions médicamenteuses : Lutter contre la iatrogénie et promouvoir l'usage des génériques.
  • La pertinence des séjours et parcours de soins : Réduire les hospitalisations potentiellement évitables et le recours inapproprié aux urgences.
  • La pertinence des modes de prise en charge : Favoriser la chirurgie ambulatoire lorsque cela est approprié et optimiser la durée des séjours hospitaliers.
  • La pertinence des actes diagnostiques et thérapeutiques : Rationaliser les prescriptions et éviter les actes inutiles ou redondants, notamment dans l'imagerie et la biologie médicale.

L'assurance maladie mène des actions de maîtrise médicalisée depuis plusieurs années pour améliorer la pertinence des soins. Toutefois, ces démarches ont parfois été perçues par les professionnels de santé comme trop administratives et axées sur la réduction des coûts. Une approche plus collaborative, impliquant les professionnels de santé et s'appuyant sur des recommandations et des référentiels validés scientifiquement (comme ceux de la HAS), est essentielle.

La sensibilisation des patients à la pertinence des soins est également un élément clé. Des campagnes d'information, comme l'initiative "Choosing wisely", peuvent encourager le dialogue entre patients et professionnels de santé pour éviter le recours à des soins de faible valeur.

Le rôle des acteurs et des politiques publiques dans la maîtrise des dépenses

La maîtrise des dépenses de santé est une responsabilité partagée entre de nombreux acteurs :

  • Les pouvoirs publics : Ils définissent le cadre réglementaire et budgétaire, fixent l'Ondam et mettent en œuvre des politiques de santé visant à améliorer l'efficience du système.
  • L'assurance maladie : Elle joue un rôle central dans le financement et la régulation des dépenses, en menant des actions de maîtrise médicalisée et en négociant avec les professionnels de santé.
  • Les professionnels de santé : Leur implication est cruciale pour garantir la pertinence des prescriptions et des actes. Les sociétés savantes ont un rôle important à jouer dans l'élaboration et la diffusion des recommandations de bonnes pratiques.
  • Les établissements de santé : Ils doivent optimiser leur gestion et favoriser les modes de prise en charge efficients.
  • Les organismes complémentaires de santé : Ils contribuent au financement du système et peuvent jouer un rôle dans l'orientation des patients vers des soins pertinents.
  • Les patients : Leur information et leur adhésion aux démarches de pertinence sont essentielles.

Les politiques publiques doivent favoriser une approche intégrée de la maîtrise des dépenses, combinant des mesures de régulation budgétaire, des incitations à l'efficience et des actions visant à améliorer la pertinence des soins. Le développement de modes de financement innovants, comme le paiement à l'épisode de soins ou la rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP), pourrait contribuer à aligner les intérêts des différents acteurs et à favoriser une prise en charge plus efficiente des patients.

L'interopérabilité des systèmes d'information de santé est également un enjeu majeur pour améliorer la coordination des soins, éviter les redondances d'examens et faciliter le suivi des patients. Le développement du Dossier Médical Partagé (DMP) et des messageries sécurisées entre professionnels de santé est essentiel dans ce domaine.

Perspectives et défis futurs pour la soutenabilité financière du système de santé français

La maîtrise des dépenses de santé en France est un défi de long terme qui nécessite une action continue et coordonnée de tous les acteurs. Face aux évolutions démographiques, aux progrès technologiques et aux attentes croissantes des patients, il est impératif de repenser les modes de financement, d'améliorer l'efficience de l'organisation des soins et de promouvoir la pertinence des actes.

Les projections de dépenses publiques de santé montrent une tendance à la hausse en pourcentage du PIB à l'horizon 2060. La soutenabilité financière du système de santé français dépendra de la capacité à infléchir cette trajectoire par des mesures efficaces de maîtrise des dépenses.

Les défis à relever sont nombreux :

  • Vaincre les résistances au changement et favoriser l'adhésion des professionnels de santé aux démarches de pertinence.
  • Développer des indicateurs de qualité et de pertinence fiables et pertinents.
  • Mettre en œuvre des modes de financement qui incitent à la qualité et à l'efficience sans compromettre l'accès aux soins.
  • Améliorer la coordination entre les différents niveaux et secteurs du système de santé.
  • Renforcer la prévention pour réduire le recours aux soins curatifs à long terme.
  • Impliquer davantage les patients dans les décisions concernant leur santé et les sensibiliser aux enjeux de la pertinence des soins.

La pérennité du système de santé français, avec ses principes de solidarité et d'accès aux soins pour tous, passe inévitablement par une maîtrise rigoureuse de ses dépenses, tout en veillant à préserver la qualité et la sécurité des soins. Les analyses de l'OCDE et de la Cour des Comptes, ainsi que les réflexions sur la pertinence des soins, offrent des pistes précieuses pour relever ce défi majeur.

Sources :

photo de l'auteur de l'article du blog de la safeteam academy
Frédéric MARTIN
Fondateur de la SafeTeam Academy
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