La violence dans les soins entre soignants : un fléau aux conséquences dévastatrices pour les patients et les équipes
Le secteur de la santé, par sa nature même, est un environnement à haute pression, où de nombreuses catégories professionnelles travaillent ensemble pour la prise en charge des patients. Cependant, sous cette pression, une réalité alarmante émerge : la dégradation des relations de travail due à la violence et aux comportements oppressifs entre soignants. Ce phénomène, loin d'être anecdotique, a des conséquences dévastatrices non seulement sur les individus et les équipes, mais aussi, et de manière critique, sur la qualité des soins et la sécurité des patients. Les organisations professionnelles reconnaissent l'urgence de cette problématique et s'engagent activement à la combattre, soulignant l'impératif d'une meilleure communication, d'une coopération renforcée et d'une cohésion d'équipe inébranlable.
Prévalence et constat alarmant de la violence en milieu de santé
La violence et les comportements oppressifs en milieu de santé sont des problèmes persistants et répandus, documentés par de nombreuses études et enquêtes. Leurs chiffres révèlent une situation préoccupante qui touche toutes les strates des professions médicales et dentaires.
Selon l'Enquête du Personnel du NHS (National Health Service) pour l'Angleterre en 2021, près de 19 % de l'ensemble du personnel du NHS a déclaré avoir subi au moins un incident de harcèlement, d'intimidation ou d'abus de la part de collègues au cours des douze mois précédents. Cela signifie qu'environ un cinquième de tout le personnel du NHS rapporte chaque année avoir été victime de harcèlement, d'intimidation et de dénigrement de la part de collègues.
Des études menées aux États-Unis ont mis en lumière un lien direct entre les comportements perturbateurs et les événements indésirables, particulièrement dans la zone périopératoire. Ces études ont attribué 67 % des événements indésirables, 71 % des erreurs médicales et 27 % des décès périopératoires aux comportements perturbateurs.
Le problème de l'intimidation au sein des professions médicales et dentaires n'est pas nouveau. Dès 2002, une enquête de la British Medical Association (BMA) auprès de jeunes médecins a révélé que près de 50 % de l'échantillon avait déclaré avoir été intimidé au cours de l'année précédente. Bien que la taille de l'échantillon (594 médecins) fût petite, ces chiffres suggéraient déjà que l'intimidation était un problème significatif.
En 2014, l'enquête nationale de formation du General Medical Council (GMC) au Royaume-Uni a exploré la question de l'intimidation parmi les stagiaires. 8 % des jeunes médecins ont signalé avoir subi une forme d'intimidation ou de dénigrement, et la chirurgie était classée comme la deuxième spécialité la plus touchée dans ce domaine, juste derrière l'obstétrique et la gynécologie.
En 2015, le Président du Royal Australasian College of Surgeons (RACS) a publiquement présenté ses excuses pour l'étendue des comportements d'intimidation constatés dans les milieux chirurgicaux en Australie et en Nouvelle-Zélande, où jusqu'à 50 % des chirurgiens avaient été soumis à de l'intimidation. Cette situation a mené au lancement de leur campagne "Let's Operate with Respect".
Le Royal College of Obstetricians and Gynaecologists (RCOG) a publié les résultats de son enquête sur l'intimidation chez les consultants en 2016. Jusqu'à 44 % des répondants ont décrit une intimidation persistante, et un tiers de ceux-ci l'ont qualifiée de grave. En réponse à ces résultats et à l'enquête du GMC, le RCOG a mis en place des initiatives pour ses membres, notamment une boîte à outils en ligne et des "tuteurs anti-intimidation" régionaux, extérieurs à la hiérarchie de formation.
Le Royal College of Surgeons of Edinburgh (RCSEd) a également mené sa propre enquête auprès de ses membres en 2014. Cette enquête a révélé que 60 % des stagiaires en chirurgie avaient déclaré avoir été intimidés sur leur lieu de travail, et presque tous ont décrit en avoir été témoins. De plus, cette enquête a souligné que le problème ne se limitait pas aux stagiaires, puisque 34 % de tous les Membres et Fellows qui ont répondu ont signalé avoir été intimidés.
Du côté français, la commission Santé du Médecin Anesthésiste-Réanimateur au Travail (SMART) du Collège Français des Anesthésistes-Réanimateurs (CFAR) a mené une enquête en 2018 sur les relations de travail sur les plateaux techniques. Les résultats sont tout aussi alarmants : plus de 90 % des professionnels de santé ont déjà vécu un conflit entre professionnels. Plus précisément, 63 % ont déjà été victimes de violence de la part d'un autre professionnel de santé, tandis que 30 % ont déjà été auteurs de violence envers un autre professionnel de santé. L'enquête a également révélé que 97 % des violences signalées étaient verbales, 14 % physiques sur des personnes, et 12 % physiques sur des biens. Ce constat s'accompagne d'un sentiment général d'impuissance, puisque 75 % des soignants se sentent démunis face à un conflit, et seulement 16 % des établissements disposent d'une procédure formalisée de déclaration des conflits. Les soignants sont un groupe à risque qui se sent souvent démuni face à sa propre souffrance physique et psychique au travail.
Ces données confirment que la violence entre soignants est un problème global, touchant diverses spécialités et niveaux de carrière, avec des implications profondes pour le bien-être du personnel et la qualité des soins.
Les multiples formes de comportements oppressifs
Les comportements oppressifs en milieu de santé ne se limitent pas à des actes flagrants et facilement identifiables ; ils englobent un large éventail d'actions, certaines subtiles, d'autres manifestes, mais toutes délétères pour l'environnement de travail et la qualité des soins. Les sources identifient plusieurs catégories de ces comportements.
Au sens large, les termes utilisés pour décrire ces agissements incluent l'intimidation (bullying), le dénigrement (undermining), le harcèlement (harassment) et l'abus (abuse). Ces comportements sont contraires aux pratiques professionnelles décrites par des organismes de régulation tels que le General Medical Council et le Nursing and Midwifery Council.
Plus spécifiquement, la campagne du CFAR vise à prévenir les conflits dits « aigus » au sein des équipes, tels que les incivilités, les violences verbales, voire physiques. La violence verbale est particulièrement prégnante, représentant 97 % des faits de violence signalés entre soignants selon l'enquête SMART 2018. Le Rapport ONVS 2018 détaille ces violences verbales exercées par des médecins, hommes ou femmes, entre eux ou envers d'autres personnels. Elles se manifestent par des critiques incessantes et des reproches sur l'inaptitude professionnelle, réelle ou supposée, des pairs ou des collaborateurs. Elles peuvent aussi prendre la forme d'une attitude hostile, de propos grossiers, ou d'un dénigrement permanent du travail effectué, que ce soit en privé ou en public. Ces comportements peuvent s'aggraver jusqu'au harcèlement moral.
En plus de la violence verbale, les violences physiques peuvent également survenir, bien que moins fréquemment, avec 14 % des cas signalés comme violence physique sur des personnes et 12 % sur des biens. Un exemple concret mentionné dans les sources est celui d'un incident où un chirurgien a projeté le contenu souillé d'une seringue au visage d'une infirmière de bloc, conduisant l'Ordre des infirmiers à se constituer partie civile pour condamner l'auteur.
Les comportements perturbateurs peuvent être plus subtils et insidieux, rendant difficile leur reconnaissance. Il peut s'agir de comportements hostiles ou agressifs qui ne sont pas nécessairement violents physiquement, mais qui créent une atmosphère toxique. L'article sur les voix de la raison fait remarquer qu'il reste à agir contre d'autres formes de violences, parfois très subtiles et invisibles, mais tout aussi délétères pour la santé physique et mentale des professionnels. La reconnaissance de ces signes, qu'on les subisse ou qu'on en soit témoin, est une étape cruciale pour y faire face.
Enfin, le dénigrement, qui consiste à saper l'autorité ou la compétence d'un collègue, est également une forme d'oppression. Le fait que l'enquête du RCSEd ait montré que 60% des stagiaires chirurgicaux avaient été victimes d'intimidation et que près de 100% l'avaient observée, suggère que ces comportements sont profondément enracinés dans la culture de certains environnements de travail.
Ces différentes manifestations de comportements oppressifs, qu'elles soient flagrantes ou discrètes, contribuent à un environnement de travail malsain qui a des répercussions bien au-delà des individus directement impliqués.

Impacts dévastateurs sur les individus, les équipes et la sécurité des patients
Les conséquences de la violence et des comportements oppressifs en milieu de santé s'étendent bien au-delà des conflits immédiats, affectant profondément la santé et le bien-être des professionnels, la dynamique des équipes, et ultimement, la sécurité et la qualité des soins prodigués aux patients.
Impact sur les individus et les équipes :Les comportements d'intimidation, de dénigrement et d'abus ont un impact dévastateur sur les individus et les équipes. Ils altèrent non seulement le moral et la santé mentale des soignants, mais aussi l'environnement de travail dans son ensemble. Les professionnels de santé touchés peuvent ressentir du stress, de l'insatisfaction et un épuisement, pouvant mener au burn-out. Une enquête sur les médecins français a d'ailleurs étudié spécifiquement le burn-out chez les anesthésistes. L'impact négatif se traduit aussi par des coûts directs et indirects pour le système de santé. Au Royaume-Uni, on estime que l'intimidation, le dénigrement et l'abus coûtent au NHS en Angleterre au moins 2,3 milliards de livres sterling par an en raison de l'absentéisme pour maladie, du roulement du personnel, de la baisse de productivité et des problèmes de relations professionnelles. La violence verbale peut blesser plus profondément qu'un bistouri, affectant durablement les conditions de travail.
Impact sur la sécurité et la qualité des patients :Au-delà de l'impact humain et financier, l'effet le plus critique et alarmant est la grave conséquence sur les soins aux patients. L'intimidation et le dénigrement ont un impact prouvé et préjudiciable sur les résultats pour les patients, détournant des ressources et de l'attention nécessaires aux soins. Le Royal College of Surgeons of Edinburgh (RCSEd) insiste sur le fait que la dégradation des relations n'est pas seulement une question de "être gentil" : l'intimidation affecte directement les patients.
Des enquêtes sur les mortalités dans des établissements comme les NHS Trusts de Mid Staffordshire et de Morecombe Bay ont identifié une rupture du travail d'équipe comme l'une des causes. Il existe une montagne de preuves montrant l'effet préjudiciable de l'intimidation et du dénigrement sur la performance de l'équipe. Pour soigner, il faut jouer collectif, et les conflits dégradent la qualité des soins.L'enquête SMART du CFAR a révélé que 97 % des répondants affirment que les conflits compromettent la qualité des soins. Les problèmes liés aux conflits augmentent le risque d'erreurs et mettent en péril la sécurité des patients. Les analyses des événements indésirables associés aux soins (EIAS) ont montré qu'environ 27 % de ces EIAS en hospitalisation étaient dus à une communication insuffisante entre professionnels. La fluidité de la communication et la coopération sont essentielles pour limiter les défauts de préparation ou de matériel, et éviter les annulations de dernière minute, sources de stress et de perte de chance pour le patient. Un environnement de travail oppressif peut compromettre les soins aux patients.
En résumé, l'entente cordiale, le sourire, le respect et la maîtrise de soi au quotidien sont indispensables à la qualité des soins. La notion d'équipe soudée, centrée sur le patient et ses besoins, ne peut qu'améliorer l'adhésion et la compréhension du patient. La force des liens entre les tensions interprofessionnelles et la survenue d'événements indésirables associés aux soins, voire la morbi-mortalité, doit inciter collectivement à œuvrer pour améliorer les relations au travail.
Causes profondes des conflits et violences en milieu hospitalier
Les conflits et la violence entre soignants ne sont pas des phénomènes isolés ou aléatoires ; ils sont souvent le symptôme de problèmes plus profonds, ancrés dans l'environnement de travail, les structures organisationnelles et les dynamiques interpersonnelles. L'analyse de ces causes est essentielle pour développer des solutions efficaces.
L'environnement de travail des professionnels de santé est intrinsèquement propice aux tensions. Les plateaux techniques – blocs opératoires, réanimations, urgences, et autres plateaux interventionnels – sont des milieux à forte pression. Ces environnements sont souvent complexes et clos, où interviennent de nombreuses catégories professionnelles avec des tâches interdépendantes autour de la prise en charge d'un patient. Le stress inhérent à l'activité opératoire, combiné à ce confinement, peut être une source de conflits.
Selon la commission SMART du CFAR, les conflits ne doivent la plupart du temps être vus que comme des symptômes d'un système en souffrance. Les causes sous-jacentes des situations conflictuelles sont souvent de nature organisationnelle ou de communication. Les soignants n'ont pas toujours l'opportunité de réfléchir en équipe aux déterminants de ces situations.
L'enquête SMART de 2018 a identifié les principales causes de conflits :
- Une mauvaise communication et l'incompréhension des priorités de chacun sont citées par plus de 90 % des professionnels de santé comme des facteurs majeurs.
- La charge de travail, la fatigue et le manque de personnel contribuent également de manière significative.
- La mauvaise organisation des soins, ainsi qu'un management et un encadrement défaillants, sont des causes organisationnelles fréquemment identifiées.
- Enfin, des facteurs interpersonnels comme la personnalité, les abus ou les rivalités de pouvoir jouent un rôle. Ces rivalités, combinées aux conflits de personnalité, peuvent exacerber les violences.
Le bloc opératoire, en particulier, est un lieu propice aux conflits en raison de sa complexité, de la pression de production, et de l'implication de nombreux métiers ayant chacun des objectifs professionnels distincts et une perception différente de la gestion des soins et des risques. La hiérarchie traditionnelle, dominée par le chirurgien, fait progressivement place à un système centré sur le patient, interprofessionnel, interdisciplinaire, et permettant à chacun de s'exprimer. Cependant, cette transition peut aussi générer des tensions.
Les différences de métiers, d'âge, d'expérience et d'objectifs entre les soignants compliquent les relations et sont des sources de conflits pouvant fortement impacter la santé du personnel. Les divergences non résolues peuvent provoquer des tensions, des blocages dans les échanges, et finalement un conflit ouvert.
En comprenant ces causes multifactorielles, il devient clair que la résolution des conflits nécessite une approche globale qui va au-delà des réactions immédiates pour s'attaquer aux problèmes structurels et culturels.
Les initiatives et engagements des organisations pour lutter contre la violence
Face à l'ampleur et aux conséquences dévastatrices de la violence entre soignants, de nombreuses organisations professionnelles se sont mobilisées pour mettre en place des campagnes et des initiatives visant à éradiquer ces comportements et à promouvoir un environnement de travail sain et respectueux.
Le Royal College of Surgeons of Edinburgh (RCSEd) est fortement engagé dans cette lutte. Le Collège a une approche de tolérance zéro envers l'intimidation, le dénigrement et le harcèlement, et les condamne catégoriquement en toutes circonstances. Cet engagement est le fruit d'un travail débuté en 2014, suite à son enquête qui avait identifié un problème significatif à tous les stades et grades de la chirurgie.
Le RCSEd s'efforce de :
- Produire une série de Normes Professionnelles pour la prévention de l'intimidation et du dénigrement dans le service de santé. Ces normes définissent les attentes envers les Membres et Fellows pour favoriser des lieux de travail respectueux et inclusifs et assurer la sécurité des patients.
- Fournir un accès gratuit à sa boîte à outils anti-intimidation, à un module d'apprentissage en ligne (e-module) et à d'autres supports proposés par des organisations partenaires.
- Collaborer avec des partenaires de toutes les professions de la santé, comme l'Anti-bullying Alliance, pour organiser des événements, offrir des conseils et développer des solutions pratiques.
- Mener le débat sur cette question dans la presse et sur les médias sociaux.
- Développer des indicateurs de performance clés pour évaluer l'efficacité des interventions et collaborations visant à lutter contre l'intimidation et le dénigrement.
- Appliquer un Code de Conduite qui reflète les valeurs du Collège et énonce les normes éthiques et comportementales attendues de ses membres. Chaque nouveau membre, ancien ou nouveau, est invité à y adhérer automatiquement. Le Collège s'engage à utiliser ses activités éducatives, d'évaluation et d'audit pour améliorer le comportement et la culture sur le lieu de travail, et à promouvoir un changement systémique en partenariat avec d'autres organisations.
De l'autre côté, en France, la commission Santé du Médecin Anesthésiste-Réanimateur au Travail (SMART) du Collège Français des Anesthésistes-Réanimateurs (CFAR) a initié la campagne "1 Patient 1 Équipe". Cette campagne, lancée suite à un constat alarmant de la dégradation des relations de travail, vise à sensibiliser l'ensemble des professionnels de santé travaillant sur les plateaux techniques. Elle s'adresse aux équipes pluri-professionnelles, incluant les jeunes en formation, et ne se limite pas aux plateaux techniques mais s'étend aux services de soins en relation, ainsi qu'aux managers.
Les objectifs de la campagne "1 Patient 1 Équipe" sont clairs :
- Prévenir les conflits dits « aigus » (incivilités, violences verbales, physiques) et proposer des outils pour leur gestion et leur analyse.
- Diminuer l'apparition de situations conflictuelles en cherchant à résoudre les désaccords immédiatement, dès la première manifestation, afin d'éviter qu'ils ne dégénèrent en conflits ouverts.
- Promouvoir la communication, la coopération et la cohésion d'équipe. Le message central est que l'ensemble des professionnels appartient à une même équipe autour d'un objectif commun : le patient. L'entente cordiale, le respect et la maîtrise de soi contribuent à la qualité des soins et au bien-être au travail.
- La campagne "1 Patient 1 Équipe" a réuni près de 40 partenaires institutionnels, qui se sont tous engagés à diffuser le message et les outils gratuitement via leurs propres médias et les réseaux sociaux. Ces partenaires incluent des acteurs majeurs comme l'Académie Nationale de Chirurgie, l'Association Nationale de Médecine du Travail et d'Ergonomie du Personnel des Hôpitaux (ANMTEPH), le Conseil National de l'Ordre des Sages-Femmes, le Conseil National des Jeunes Chirurgiens, la Fédération de Chirurgie Viscérale et Digestive, la Haute Autorité de Santé (HAS), l'Observatoire National des Violences en milieu de Santé (ONVS), la Société Française d'Anesthésie et de Réanimation (SFAR), la Société Française de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique (SOFCOT), la Société Francophone de Simulation en Santé (SoFraSimS), et l'Union Nationale des Associations d'Infirmières de Bloc Opératoire Diplômées d'État (UNAIBODE). Chaque partenaire exprime son soutien en soulignant l'importance de la coopération et du respect mutuel pour la sécurité du patient et la qualité de vie au travail.
Ces initiatives montrent une prise de conscience collective et un engagement fort des organismes professionnels pour transformer les cultures de travail et faire de la bienveillance un pilier des soins de santé.

Outils et stratégies pour prévenir et gérer les conflits aigus
Pour passer de la prise de conscience à l'action, les organisations ont développé une panoplie d'outils et de stratégies pratiques destinés à aider les professionnels de santé à prévenir les conflits et à les gérer efficacement lorsqu'ils surviennent. Ces ressources visent à équiper les soignants avec les compétences nécessaires pour naviguer dans des environnements complexes et émotionnellement chargés.
Le Royal College of Surgeons of Edinburgh (RCSEd) propose un hub de ressources anti-intimidation complet pour les professionnels chirurgicaux et dentaires. Parmi ces ressources, on trouve :
- Standards for the Prevention of Bullying and Undermining in the Health Service : Des directives sur les comportements attendus pour créer des milieux de travail respectueux et garantir la sécurité des patients.
- The Facts and the Law : Des informations sur la protection légale des professionnels de santé contre l'intimidation, le harcèlement et la discrimination, ainsi que sur les démarches à entreprendre.
- The Literature and the Specialities : Une synthèse des études et enquêtes sur la prévalence de l'intimidation et son impact, y compris la réponse du RCSEd.
- How Oppressive Behaviour Affects the Team and Patient Care : Des études de cas réelles illustrant l'impact des comportements oppressifs sur le moral de l'équipe, la santé mentale et la sécurité des patients.
- Are You Being Bullied? : Des outils pour reconnaître les signes d'intimidation et de comportement perturbateur, qu'on les subisse ou qu'on en soit témoin, et des étapes pour se protéger et protéger la sécurité des patients.
- Is My Behaviour Affecting the Team? : Un guide de réflexion personnelle avec une liste de contrôle pour évaluer son propre comportement et son impact sur les collègues et les soins aux patients.
- How to be Assertive Without Being a Bully : Des conseils pratiques pour les formateurs sur la manière de diriger efficacement, de fixer des attentes claires et de fournir des retours constructifs sans dénigrer ni intimider.
- Protecting Yourself, Protecting Your Colleagues : Un soutien et des conseils sur la manière de se protéger de l'intimidation ou de la critique, de maintenir son bien-être et de soutenir ses collègues.
- Negotiation : Des stratégies de négociation pour les chirurgiens afin de réduire les conflits en milieu de travail et de soutenir les soins aux patients, avec des conseils pour renforcer la confiance en communication et résoudre les tensions.
- Resources to Help Change the Culture : Des affiches, des présentations, des formations accréditées et des événements pour transformer la culture chirurgicale et promouvoir un environnement de travail plus sain.
La campagne "1 Patient 1 Équipe" du CFAR/SFAR offre également une "boîte à outils" complète pour la prévention et la gestion des conflits. Ces outils sont mis à disposition en téléchargement gratuit.
Pour prévenir les conflits, la campagne propose :
- Des visuels de campagne à diffuser pour promouvoir la coopération et l'esprit d'équipe.
- Une Charte du savoir-être à faire signer par toute l'équipe, encourageant le respect et les comportements professionnels.
- Le Serment d'Hippocrate et le Serment du médecin (Déclaration de Genève) à diffuser, rappelant les engagements éthiques des professionnels.
- De la documentation incluant un rappel du cadre juridique, une bibliographie et le rapport de l'Observatoire National des Violences en milieu de Santé (ONVS).
Pour gérer les conflits aigus, les outils sont axés sur l'action immédiate et l'analyse :
- Des vidéos de formation interactives sur la gestion des conflits en bloc opératoire. Par exemple, la vidéo "Faire face à une situation de conflit au bloc opératoire : Comment répondre à un comportement hostile ou agressif ?" propose différentes réponses : agressive, passive, passive-agressive et assertive. La réponse assertive implique l'utilisation d'une écoute active et d'une communication centrée sur les sentiments et les besoins des deux parties afin de rechercher une solution de compromis. Une autre série de vidéos aborde "Comment exprimer son désaccord ?" avec des réponses passive, frontale et factuelle et ouverte.
- Des fiches de réaction immédiate pour savoir comment réagir face à un comportement hostile ou s'interposer en cas de conflit aigu entre professionnels.
- Une fiche d'analyse appelée REACT (Réunion d’Equipe d’Analyse des Conflits au Travail) pour une gestion à froid des conflits et la recherche de mesures correctrices sur l'organisation du travail.
- Des formations en simulation pour la gestion des conflits. La Société Francophone de Simulation en Santé (SoFraSimS) soutient cette démarche pour aider les professionnels à comprendre leur rôle au sein du groupe, les besoins et compétences des autres, et à retrouver du bien-être au travail.
- Des directives pour la gestion des comportements perturbateurs, y compris un protocole d'accord entre les Ministères de la Justice, du Travail et de l'Intérieur relatif à la sécurité des établissements de santé.
Ces outils et stratégies, qu'ils soient proposés par le RCSEd ou le CFAR/SFAR, démontrent un effort concerté pour doter les professionnels de santé des compétences relationnelles et de gestion des conflits essentielles pour un travail d'équipe efficace et la sécurité des patients.
Améliorer la cohésion d'équipe et la culture du travail
La lutte contre la violence entre soignants ne se limite pas à la gestion des conflits ; elle passe aussi, et surtout, par la construction d'une culture de travail positive et le renforcement de la cohésion d'équipe. C'est dans cet esprit que plusieurs initiatives sont développées.
La campagne "1 Patient 1 Équipe" insiste sur le fait que l'entente cordiale, le sourire, le respect et la maîtrise de soi au quotidien participent à la qualité des soins, à la reconnaissance de la valeur professionnelle et au « bien-être» au travail. L'idée fondamentale est que nous appartenons à une même équipe autour d'un objectif commun : le patient. Il est primordial de jouer collectif sur le terrain de la santé.
Pour améliorer durablement la cohésion d'équipe, les sources proposent plusieurs approches :
- Implication de l'administration : La gestion des conflits et l'amélioration de la cohésion ne peuvent se faire qu'en équipe, et il est important d'impliquer l'administration de l'établissement dans cette démarche.
- Programmes d'amélioration continue : La Haute Autorité de Santé (HAS) propose des programmes spécifiques, tels que le "Programme d’Amélioration Continue du Travail en Equipe (PACTE)" et le "Programme d’Accréditation en équipe médicale". L'accréditation en équipe est vue comme la somme des compétences individuelles qui crée une compétence collective, avec des objectifs communs et un partage des responsabilités pour améliorer la qualité et la sécurité des soins. Un autre programme est la "Solution pour la sécurité des patients : Coopération entre anesthésistes-réanimateurs et chirurgiens". La Fédération de Chirurgie Viscérale et Digestive (FCVD) souligne que le travail en équipe des acteurs du bloc opératoire, associé à une parfaite définition des tâches, est indispensable à l'amélioration de la sécurité et de la qualité des soins.
- Démarche participative : L'Observatoire de la Qualité de Vie au Travail (QVT) des Professionnels de la Santé et du Médico-Social soutient cette campagne, dont les résultats auront vocation à être valorisés et partagés, dans le cadre d'une démarche participative.
- Comprendre les différences pour mieux coopérer : Les conflits sont souvent le reflet d'une incompréhension des problématiques de spécialités différentes appelées à travailler ensemble. La campagne souligne l'importance de l'interdisciplinarité, qui fait appel aux compétences de chacun, et met l'accent sur le rôle déterminant joué par chaque professionnel. L'efficacité du bloc opératoire dépend de l'efficience de cette interdisciplinarité.
- La culture du professionnalisme et du respect : La prévention passe par une meilleure compréhension des problèmes, un meilleur contrôle de nos propres réactions et émotions, et la participation à des ateliers sur la gestion des conflits. Ces efforts doivent être renforcés au niveau institutionnel par une culture du professionnalisme, du travail d'équipe et du respect interdisciplinaire.
- Le pouvoir de l'engagement collectif : Un exemple concret est donné où l'engagement collectif des 45 personnes présentes dans un bloc opératoire (brancardiers, IBODE, IADE, Chirurgiens, Anesthésistes Réanimateurs) a permis de mettre fin à la violence verbale. La proposition que "quiconque usera de violences verbales sera considéré comme inapte à exercer son activité le jour même" a été adoptée à l'unanimité et a eu un effet immédiat et durable. Ce "contrat" collectif semble avoir été très efficace.
- Développer des compétences relationnelles : Pour les médecins, il est essentiel d'acquérir des compétences en gestion des ressources humaines, telles qu'accompagner le changement, désamorcer les conflits et faciliter la coordination des "coéquipiers".
En définitive, le travail en équipe est indispensable à la qualité des soins. Les équipes doivent être en bonne santé, avec des processus internes constructifs et efficaces, pour pouvoir contribuer pleinement à la santé de la population. Cela implique que tous les membres des équipes s'approprient des pratiques de travail en équipe optimales.
Le rôle des différents acteurs et l'engagement collectif
La lutte contre la violence et la promotion d'une culture positive dans le secteur de la santé exigent un engagement collectif et la participation active de tous les acteurs, des étudiants aux managers, en passant par toutes les catégories professionnelles.
Les campagnes de sensibilisation, telles que "Let's Remove It" du RCSEd et "1 Patient 1 Équipe" du CFAR/SFAR, s'adressent à un public très large. Le RCSEd cible l'ensemble des professions chirurgicales et dentaires, ainsi que ses Membres et Fellows. La campagne "1 Patient 1 Équipe" s'adresse aux équipes pluri-professionnelles des plateaux techniques, incluant :
- Anesthésistes-réanimateurs
- Chirurgiens
- Radiologues
- Gastro-entérologues
- Gynéco-obstétriciens
- Cardiologues
- Réanimateurs
- Urgentistes
- Perfusionnistes
- Sages-femmes
- Infirmiers anesthésistes (IADE)
- Infirmiers de bloc opératoire (IBODE)
- Infirmiers
- Manipulateurs radio
- Aides-soignants
- Brancardiers
- Agents d'entretien
Elle s'étend également aux services de soins avec lesquels ces plateaux sont en relation et s'adresse aux managers, les invitant à réfléchir sur les organisations et les leviers pour des mesures correctrices.
La responsabilité est partagée par tous. L'enquête du RCSEd a montré que le problème de l'intimidation n'est pas seulement une question de stagiaires, mais touche aussi les Membres et Fellows. La campagne "1 Patient 1 Équipe" insiste sur le fait que c'est l'affaire de tous les membres des équipes soignantes.
L'engagement collectif est une pierre angulaire des solutions proposées. L'initiative "1 Patient 1 Équipe" réunit près de 40 partenaires institutionnels, dont l'Académie Nationale de Chirurgie, qui rappelle que le patient est pris en charge par toute une équipe et que tous les maillons doivent travailler en harmonie. L'Association pour les Praticiens Hospitaliers & Assimilés (APPA) souligne l'importance de promouvoir la cohésion d'équipe, la prévention et la gestion des conflits comme étant incontournables à l'hôpital. L'ANMTEPH, en tant que médecine du travail, insiste sur l'importance des relations de travail pour la santé du personnel. Le Conseil National de l'Ordre des Sages-Femmes s'engage dans cette campagne qui porte les valeurs fondamentales de coopération et de respect, essentielles à la qualité des soins.
Des syndicats comme la Fédération des Médecins de France (FMF) ou le Syndicat National des Infirmiers-Anesthésistes (SNIA) soutiennent également la campagne, reconnaissant que la qualité de vie au travail et la sécurité au bloc opératoire dépendent d'une équipe unie et coopérative. Le Syndicat National des Praticiens Hospitaliers Anesthésistes-Réanimateurs Élargi (SNPHARe) rappelle que la notion d'équipe est mise à mal par les défis actuels, mais qu'il est essentiel de "resynchroniser les temps médicaux" et de valoriser la notion d'équipe pour redonner du sens au métier et garantir les meilleurs soins.
L'Ordre National des Infirmiers, fortement impliqué face à la souffrance au travail et aux risques psycho-sociaux, souligne l'importance de l'unité pour rappeler le sens du travail en équipe et du respect mutuel, tant pour les patients que pour les soignants eux-mêmes.
En conclusion, l'éradication de la violence interprofessionnelle et l'amélioration de la qualité de vie au travail et de la sécurité des patients requièrent un effort concerté, constant et inclusif de la part de l'ensemble de la communauté des soins de santé. Chaque professionnel, chaque organisation, chaque niveau hiérarchique a un rôle crucial à jouer pour bâtir un environnement où le respect, la communication et la coopération sont les fondements d'une prise en charge patient de qualité. Les initiatives du RCSEd et du CFAR/SFAR sont des exemples éloquents de cet engagement collectif, soulignant que "Pour soigner, jouons collectif !". C'est un engagement de long terme, car la prévention est indispensable et la crise est toujours dramatique.
Sources
https://www.rcsed.ac.uk/policy-guidelines/lets-remove-it/anti-bullying-and-undermining-campaign
https://cfar.org/wp-content/uploads/2019/03/dossier-presse-BD.pdf
https://sfar.org/gestion-des-conflits/